Bandcamp, un marché de vente direct aux consommateur.trices permettant aux artistes et aux labels de vendre de la musique en format digital et physique ainsi que des produits dérivés à des taux dépassant de loin les paiements dérisoires des plateformes de streaming, a été l’une des rares réussites économiques de la dernière décennie pour les musicien.nes indépendant.es et leurs fans.
Comme le site le souligne fièrement, les artistes sur Bandcamp ont gagné collectivement 193 millions de dollars au cours de l’année dernière seulement grâce à des éléments clés : une branche éditoriale solide ; des fonctionnalités sociales qui facilitent le partage et la découverte ; et Bandcamp Fridays, une initiative mensuelle lancée au début de la pandémie, où le site renonce à sa réduction de revenus pendant 24 heures. Bandcamp s’est imposé en tant que plateforme cruciale et largement appréciée, avec un accent unique sur les styles plus nichés et les communautés underground.
Une vente à une entreprise moins qu’idéale
Cependant, il y a environ 19 mois, les fondateurs de Bandcamp ont vendu l’entreprise à Epic Games, le développeur de logiciels derrière le populaire jeu Fortnite. Plusieurs questions ont alors surgi au sein de la communauté musicale: pourquoi est-ce qu’une entreprise de jeux vidéo avait besoin d’acquérir un détaillant de musique comme Bandcamp ? Comment est-ce que cette entreprise pourrait même l’améliorer ?
À la fin du mois dernier, Epic Games a annoncé que Bandcamp allait de nouveau être vendu, cette fois-ci à Songtradr, un service de licences musicales B2B. Songtradr a promis ce qui semblait être un statu quo, mais après l’acquisition, selon Wired, les employé.es de Bandcamp ont été exclu.es des systèmes critiques et n’ont reçu que peu d’indications sur les projets futurs, laissant les travailleur.euses dans une position assez déstabilisante.
La semaine dernière, les mises à pied ont vraiment commencé: environ la moitié du personnel de Bandcamp s’est fait congédier. Selon un ancien employé, les réductions d’effectifs ont été réparties assez uniformément dans tous les départements, à l’exception du support client et de la rédaction, qui ont été plus durement touchés.
Un futur incertain pour Bandcamp
Qu’est-ce que tout ça signifie pour Bandcamp ? D’une part, réduire les coûts en supprimant le support client ne semble pas être une voie très viable pour une plateforme qui enregistre des dizaines de milliers de transactions totalisant plus d’un demi-million de dollars de ventes par jour. L’entreprise prétend être rentable depuis 2012, mais même si Bandcamp perdait de l’argent et qu’il était nécessaire de procéder à des coupures budgétaires pour rétablir ses résultats, les démarches d’ouverture de Songtradr ne semblent pas être la tactique d’une entreprise qui comprend ce qu’elle a acheté.
Il y a des raisons de douter que Songtradr soit en mesure d’atteindre ses objectifs commerciaux. Fondée en 2014, la société américaine a levé environ 101 millions de dollars de financement, dont une grande partie a été consacrée à une stratégie agressive de fusions et d’acquisitions, c’est-à-dire stimuler la croissance en regroupant d’autres sociétés sous son aile. Le PDG, Paul Wiltshire, affirme que l’entreprise a presque doublé ses revenus en 2020, mais les revenus de Songtradr semblent s’être stabilisés au cours des trois dernières années. Jusqu’à présent, les communications de l’entreprise concernant son acquisition n’ont pas été totalement à la hauteur. En annonçant les suppressions d’emplois de cette semaine, Songtradr a déclaré que « 50 % des employés de Bandcamp ont accepté les offres de rejoindre Songtradr ». En fait, seulement la moitié des employés de Bandcamp se sont vu proposer un emploi en premier lieu ; l’autre moitié a été sommairement relâchée.
Bandcamp ne s’agit pas de la seule fissure dans les fondations : on dirait que les choses empirent partout où la culture entre en collision avec le marché. À la suite d’une acquisition par inMusic, la célèbre société de synthétiseurs Moog Music a récemment supprimé des emplois dans son usine d’Asheville, en Caroline du Nord, notant que leurs « partenaires d’outre-mer » prendraient une partie du relais. Certain.es se plaignent également que Discogs, la base de données et le marché en ligne de vinyles, augmente les frais de vente, ce qui, selon certains, pourrait être un moyen d’augmenter les revenus en prévision d’une vente.
Toute cette situation fait donc en sorte que le futur de Bandcamp (et de plusieurs autres entreprises musicales) soit assez flou, laissant planer le climat d’insécurité dans l’industrie. À suivre …