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Écrit par 17 h 59 min À la une, Articles, Populaires

Lancer, ou ne pas lancer son disque, telle est la question

À l’instar du fameux personnage de Shakespeare qui se mire dans la glace en se posant cette question existentielle, plusieurs musiciens, maisons de disques et gérants ont dû réfléchir à cette problématique depuis la mi-mars. Les défis qui attendent les artistes dans un lancement en confinement sont multiples : la chaîne de production du disque et du vinyle est perturbée, les lancements en salle ne sont pas possibles et la possibilité de faire de la promotion via les entrevues ou participations aux émissions culturelles est très limitée. À ces interrogations s’ajoute celle-ci, cruciale : est-ce que ça va passer dans le beurre ?

Ces inquiétudes ne sont pas propres au marché francophone canadien, mais font partie d’un questionnement mondial. Certains artistes très populaires comme Lady Gaga ou Haim ont décidé de remettre leur date de sortie alors que Laura Marling a devancé la sienne. Quelle stratégie est la plus sage ?

Une chaîne de production au ralenti

Le premier obstacle qui se dresse devant l’artiste est la bonne vieille chaîne de production. Même si la vente d’albums physiques n’est plus aussi importante qu’à l’âge d’or des années 90, certains continuent de faire leur marque dans ce domaine. Magali Ould, Directrice marketing et communication, Secret City Records, nous en donne un aperçu avec le cas de Klô Pelgag : « Dans son cas, le vinyle était arrêté à l’assemblage et l’entrepôt était fermé. Donc pour une sortie le 17 avril, c’est sûr qu’on n’allait pas avoir le vinyle en main. Klô a une bonne base de fans qui aiment acheter un album physique. Au Québec, le physique est encore très important. Nous avons donc remis en juin. »

Notre-Dame-des-Sept-Douleurs | Klô Pelgag

Si certaines manufactures de vinyles ont dû arrêter complètement leurs opérations en raison de la pandémie, certaines ont réussi à s’en sortir plutôt bien. C’est le cas de Kaneshii Vinyl Press qui est située à l’Île-du-Prince-Édouard. Ghislaine Cormier, la responsable des partenariats stratégiques, nous en parle : « À l’Île-du-Prince-Édouard, on a peu de cas de la COVID-19 et depuis vendredi dernier (NDLR : le 1er mai) on est dans la phase 1 du déconfinement. La majorité de nos commandes à ce temps de l’année était reliée à Record Store Day, mais comme il a été reporté en juin, nous n’avons pas pris de retard. La plupart des commandes de vinyles étaient rendues à mi-chemin ou terminées. »

Même si la presse n’a pas fonctionné pendant deux semaines, le reste de l’équipe est resté en place, en télétravail. Cela a permis de continuer à prendre des commandes et de faire approuver des éléments visuels pour les albums. La seule chose qui a ralenti, c’est de recevoir des approbations de clients qui sont installés au Québec et le report de certaines sorties. « On fait affaire souvent avec les mêmes clients. On a appelé tout le monde pour réorganiser les productions qui devaient être repoussées. »

La sortie numérique

Certains artistes n’attendent pas que la situation se résorbe et vont de l’avant. Le projet SOMMM qui réunit le réalisateur et compositeur Étienne Dupuis-Cloutier et l’autrice-compositrice-interprète Ariane Moffatt font partie de ceux-là. Il faut dire qu’avant même la pandémie le duo n’avait pas l’intention de faire de version physique. Est-ce que l’attention médiatique mise sur le coronavirus affecte une sortie? Dans le cas de SOMMM, tout s’est déroulé comme sur des roulettes : « On n’avait pas de plan de mise en marché physique. Les vinyles peut-être, mais on se dirigeait vraiment vers une sortie 100% numérique. Je comprends une Klô Pelgag où il y a une mise en marché, une tournée où tu vas vendre des cds et des vinyles. Et je comprends qu’ils aient repoussé en temps de pandémie. De notre côté, ce n’était vraiment pas notre cas. »

Ça demeure que le duo s’est posé des questions sur la pertinence de lancer un disque en des temps pareils. « Est-ce que c’est pertinent de sortir un album pendant la pandémie? Tout était fait. L’album était en mixage au début du confinement. Mais il faut comprendre que c’est un projet où l’on fait des enregistrements, puis on les sort rapidement. Plus on arrivait vers la fin de la production, plus les gens autour de nous parlaient du fait qu’ils avaient besoin de musique. Je pense la fraîcheur des compositions, les gens le ressentent.» Du côté de chez Warner Music, on seconde sur l’importance du moment dans la sortie d’un album. Dans un article publié chez Rolling Stones magazine, Tom Corson, le président-directeur général de Warner Music, met l’emphase sur l’importance d’être de son temps musicalement. Magali Ould est aussi d’accord, mais pour des raisons plus intimes aux musiciens : « Attendre, attendre, quoi? Faut aussi continuer la vie et ne pas attendre le moment parfait qui ne viendra pas. Pour les artistes, un album c’est important, ça fait partie d’un moment de vie, c’est quelque chose qu’ils avaient à dire. Tu leur demandes de dire ça dans deux ans? Vaut mieux en écrire un autre. »

Le problème des territoires multiples

Depuis quelques années, la musique voyage plus facilement. La montée de l’internet comme moyen de communication a changé drastiquement les possibilités pour les artistes. C’est possible maintenant d’être canadien, mais qu’on nous écoute en France, en Suisse et Belgique. Ces sorties sur de multiples territoires peuvent offrir des défis de tailles, notamment au niveau des relations de presses et de la distribution physique des albums.

Des solutions ?

Mais bien sûr qu’il y a des solutions. Tout d’abord, la sortie numérique est toujours possible et facile à mettre sur pied. La plupart des organismes et des distributeurs sont toujours au poste en télétravail ainsi que les médias globalement. Pour ce qui est des copies physiques comme les vinyles, c’est plus compliqué, mais certaines manufactures recommencent à imprimer. Il y a même des options à faible risque comme DisqueFontionnel, mis de l’avant par Kaneshii Vinyl Press. Cette initiative permet à un artiste de faire une campagne de sociofinancement en vendant en précommande ses vinyles. Ainsi, la mise de fonds de base n’est pas nécessaire. En temps normal, se prémunir de cette initiative vient avec un coût de 99$, mais Kaneshii a décidé de faire sauter ce montant étant donné la situation actuelle. Ils comprennent que certains musiciens manquent de liquidité en ce moment. Cela leur permet de continuer d’avancer avec leur projet.

Il n’y a malheureusement pas de solution miracle ou de réponse unique à la question posée au début de cet article. Par contre, si le retour des spectacles ne va qu’à l’automne 2020 (et peut-être même l’hiver 2021), attendre après celui-ci risque d’être long et ardu. Alors, si l’on s’aligne sur une sortie pendant ces temps étranges, il faut s’assurer de ne pas manquer son coup. Mieux vaut réfléchir à une bonne stratégie de promotion sur le web. Il faut déterminer ses niches et essayer de les rejoindre. Plusieurs façons s’offrent aux artistes : placement publicitaire dans des médias culturels, organisation de campagnes de publicité sur les réseaux sociaux (c’est plus compliqué que seulement « booster » une publication pour avoir un réel impact), préparation d’un lancement virtuel ou d’une activité d’échange avec les fans, etc. Idéalement, une stratégie qui fait un peu de tout ça risque de mieux atteindre son but.

Il faut aussi se rappeler que c’est toujours excitant un nouvel album par un artiste qu’on aime. En temps de confinement ou en temps normal.